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Cour de justice - Page 5

  • Arrêts Laval et Viking (1)

    La Cour de Justice des Communautés Européennes vient de rendre deux décisions très attendues par les syndicats dans les affaires Viking et Laval (voir pour le rappel des faits, les articles : Polémique sur les droits des travailleurs détachés et Application d’une convention collective à une entreprise d’un autre état de l’Union européenne ).

     

     

    Dans l’affaire Laval, il s’agissait de savoir si des syndicats suédois  pouvaient imposer à une entreprise lettone qui détachait des travailleurs en Suède le respect de conditions de salaire résultant d’une convention collective sectorielle. Laval, une entreprise de bâtiment avait obtenu un marché de construction en Suède. Mais un syndicat suédois du bâtiment avait bloqué le chantier au motif que Laval ne respectait pas la convention collective applicable au secteur . La société refusait en effet de la signer, ce qui lui permettait de payer ses ouvriers détachés à des salaires inférieurs à ceux prévus par la convention  (« dumping salarial ») . L’action du syndicat avait conduit à l’abandon du chantier par Laval en février 2005, ce dont cette dernière demandait réparation.

    Dans l’affaire Viking, la question posée était celle de la légalité de l’action collective syndicale  pour dissuader une société de délocaliser au sein de la Communauté européenne, afin de tirer profit de législations sociales plus avantageuses pour les employeurs car moins protectrices des salariés. En l’espèce, la société finlandaise de ferries Viking Line, avait décidé de faire immatriculer un de ses ferries en Estonie afin  de remplacer le personnel navigant par un équipage estonien, rémunéré à un niveau de salaire inférieur à celui pratiqué en Finlande, et de pouvoir concurrencer d’autres ferries sur la même liaison maritime. Elle avait demandé en justice une injonction afin d’empêcher le FSU, Syndicat des marins finnois, de mener une action syndicale visant  à protéger les emplois de ses membres et d’obliger la Fédération internationale des ouvriers du transport à retirer l’interdiction qu’elle avait faite à ses affiliés de négocier avec elle, en solidarité avec le FSU.

     

     

    Dans les deux cas, l’exercice des droits syndicaux dans l’Union européenne se trouvait confronté à une des libertés fondamentales sur lesquelles repose le marché intérieur, libre prestation de services ou liberté d'établissement. De façon lapidaire on pourrait résumer le dilemme posé en ces termes : Europe sociale ou Europe du libre échange ?  Le Secrétaire général de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), John Monks remarquait en 2006 : « Les répercussions  potentielles de ces affaires aux plans juridique, politique et social vont  beaucoup plus loin que les modèles sociaux finnois et suédois et elles affecteront les relations de travail partout en Europe ».

     

     

    Mais les décisions rendues par la Cour de Justice ne sont pas à la hauteur des attentes des syndicats.

    Dans l’arrêt rendu le 11/12 sur l’affaire Viking (CJCE, 11/12/2007, aff. C-438/05 , The International Transport Workers' Federation & The Finnish Seamen"s Union / Viking Line ABP & OÜ Viking Line Eesti), la Cour juge que ni le fait que le droit de grève ou d’action syndicale échappent à la compétence communautaire, ni celui qu’il  s’agit de droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect, ne signifient que leur exercice soit affranchi du respect du droit communautaire (considérants 40 à 47). Or, l’action collective menée par un syndicat ou un groupement de syndicats à l’encontre d’une entreprise pour l’amener à conclure une convention collective dont le contenu est bien de nature à la dissuader de faire usage de sa liberté d’établissement restreint cette liberté et peut donc de ce fait être contraire au droit communautaire. De telles restrictions peuvent se justifier seulement « au titre de la protection d’une raison impérieuse d’intérêt général, telle que la protection des travailleurs, à condition qu’il soit établi qu’elles sont aptes à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif » (considérant 90). Autrement dit, il faut examiner si les emplois des marins finlandais étaient sérieusement menacés par la décision de Viking et si l’action des syndicats n’a pas été au delà de ce qui était nécessaire. Ce n’est pas à la Cour d’en juger, puisqu’elle est seulement compétente pour interpréter les dispositions du droit communautaire, mais au juge national  devant lequel doit être réglé  le litige, sur la base de cette interprétation. La CES , tout en se réjouissant de voir la Cour de Justice confirmer  que le droit de mener une  action collective est un droit fondamental, reconnu par la législation internationale et communautaire qui peut justifier des restrictions imposées à la liberté fondamentale d’établissement, s’inquiète que la Cour « semble même temps limiter le champ d’application d’une telle justification d’une manière qui pourrait faire  obstacle à l’exercice du droit d’action collective, en particulier dans des situations transfrontalières ». Car, observe son Secrétaire général : « Ce jugement protège clairement les syndicats aux plans local  et national en remettant en question la liberté d’établissement des entreprises.  Il est cependant moins clair concernant les droits syndicaux transnationaux…nous aurions aimé une reconnaissance plus  claire et non ambigüe des droits des syndicats à conserver et défendre les  droits des travailleurs et l’égalité de traitement et à coopérer au-delà des  frontières, afin de contrebalancer le pouvoir de l’entreprise organisée qui  devient de plus en plus mondiale ».

     

    Domaguil

     

     

  • Avec l été fleurissent les procédures…

    Retour sur quelques affaires dont certaines ont été évoquées sur ce blog
    • La France sommée d’ouvrir les paris sportifs à la concurrence : on le savait, les règles qui réservent à la Française des jeux et le Pari mutuel urbain (PMU) un monopole sur les jeux de hasard en France ne sont pas du goût de la Commission européenne qui estime qu’elles sont un obstacle à la libre prestation des services (voir sur ce blog:  Jeux sans frontières : paris en ligne et libre prestation de servies dans l’Union européenne).  Sont en cause plus précisément les paris sportifs.  Apparemment non convaincue par les réponses de la France à sa demande d’informations, la Commission a annoncé le 27/06 qu’elle adresse un avis motivé aux autorités françaises afin qu’elles modifient la législation, sous peine de faire l’objet d’un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes.
    • La condition de nationalité des notaires jugée contraire au droit communautaire par la Commission  européenne : sept états membres, parmi lesquels la France, vont être traduits devant la Cour de justice de Communautés européennes pour violation du droit communautaire. C’est ce qu’a annoncé la Commission dans un communiqué du 27/06. Sont en cause les dispositions qui réservent aux seuls nationaux  l'accès et l’exercice de la profession de notaire. Voir sur ce blog: Libre prestation de services dans l’Union européenne pour les notaires : la fin du chacun pour soi ? )  en méconnaissance de l’article 43 du traité sur la Communauté européenne sur la liberté d’établissement. La Commission européenne réfute l’argument de la France selon lequel cette condition serait justifiée au regard de l’art. 45 du Traité qui permet des exceptions au principe de liberté d’établissement pour les activités participant à l'exercice de l'autorité publique.
    • Pollution de l’eau par les nitrates en Bretagne : en ce début d’été, les procédures pleuvent. Un problème récurrent celui de la pollution des eaux de surface bretonnes par les nitrates revient dans l’actualité. La Commission européenne a rendue publique le 27/06, sa décision de saisir pour la seconde fois la Cour européenne de justice. Le 21/03, elle avait accordé à la France un sursis de trois mois avant de saisir une nouvelle fois la Cour de justice au vu du  nouveau plan d'actions qui lui avait été proposé par les représentants français (voir la brève d’information sur le site eurogersinfo: Qualité de l’eau ). Trois mois plus tard, la Commission constate que la France a pris un certain nombre de mesures pour mettre en place le plan d'actions (par exemple, adoption d'un cadre réglementaire, procédures entamées pour la fermeture de 4 prises d'eau). Mais, remarque-t-elle, un nombre important d'exploitants n’a toujours pas souscrit les mesures agro-environnementales volontaires essentielles à la mise en oeuvre en 2007 du plan alors que la mise en place effective des mesures obligatoires doit intervenir avant le 1er janvier 2008. La Commission demandera donc à la Cour  d'imposer à la France une amende supérieure à 28 millions d'euros assortie d’une astreinte journalière de 117 882 euros.

       Domaguil 

  • Pas de libre circulation pour les étudiants français en Belgique (2)

    Un des principes fondateurs sur lequel repose l’Union européenne est celui de la liberté de circulation des personnes. Il signifie que tous les ressortissants de l’Union doivent pouvoir voyager, séjourner, travailler, étudier dans n’importe quel pays membre. Ce qui suppose que les états ne fassent pas de discrimination entre leurs nationaux et les nationaux d’autres états, comme dispose l’article 12 du traité de la Communauté européenne.

     

     

     

    Une jurisprudence constante a précisé la portée de cette interdiction :  « Il y a violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différences essentielles se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations différentes sont traitées de manière identique » (Tribunal de Première Instance,  20 janvier 2004, T-195/02, Briganti / Commission, point 41). Seules, « des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national » peuvent justifier une différence de traitement comme l’a rappelé la Cour de justice des Communautés européennes dans une affaire qui opposait la Commission à l’Autriche (CJCE, 7/07/2005, aff.C-147/03, Commission des Communautés européennes c. République d’Autriche). Dans cet arrêt, la Cour a condamné l’Autriche pour manquement au droit communautaire en raison d’une disposition selon laquelle les étudiants titulaires de diplômes obtenus dans un autre pays membre n’étaient admis à un cursus que s'ils pouvaient  prouver qu'ils remplissaient les conditions d'accès au cursus dans le pays d’obtention de leur diplôme, ce qui concrètement, avait pour conséquence de leur rendre l’accès aux études plus difficile qu’aux étudiants autrichiens. L’Autriche, a jugé la Cour, a violé les articles 12, 149 (coopération entre les états en matière d’éducation et mobilité des étudiants) et 150 (politique communautaire de formation) du traité sur la Communauté européenne.

     

     

    Dans une autre affaire qui, cette fois, mettait aux prises la Commission européenne avec …la Belgique (déjà !), la Cour a condamné, en se fondant sur les mêmes articles,  la Belgique pour avoir imposé aux étudiants titulaires de diplômes secondaires obtenus dans d’autres états de l’Union qui souhaitaient commencer des études supérieures sur son territoire, une condition que n’avaient pas à remplir les titulaires de diplômes belges (CJCE,01/07/2004,aff.C-65/03, Commission des Communautés européennes c.Royaume de Belgique).

     

     

     

    On le remarque, ni l’Autriche ni la Belgique n’avaient imposé des mesures visant directement les non nationaux. Plus « subtilement » ( ???), elles faisaient référence à des « titulaires de diplômes étrangers », ce qui pouvait aussi viser des autrichiens ou des belges. Mais il est évident que dans la très grande majorité des cas, les titulaires de diplômes étrangers sont…des étrangers. Et voilà comment les deux pays pratiquaient en toute bonne conscience une discrimination « indirecte contraire au principe de non-discrimination en raison de la nationalité contenu à l'article 12 CE », selon les termes de la Cour dans l’arrêt concernant l’Autriche. Et la Cour d’expliquer qu’on ne la dupe pas comme cela : « le principe d’égalité de traitement…prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat » (arrêt du 01/07/2004, point 28). Pan sur le bec de la Belgique : la Cour de justice veille au grain.

     

     

     

    Conclusion: après lecture de ces arrêts, le sort du décret de madame Simonet paraît bien incertain, car il restreint l’accès à certaines filières aux étudiants « non-résidents » dont il est prévisible qu’ils sont essentiellement des non belges et dans ce cas, le décret crée bien une « forme dissimulée de discrimination » contraire au droit communautaire. En cas de recours devant les instances communautaires (Commission, et Cour de Justice des Communautés si aucun accord n’est trouvé avec la Commission) , sa durée de vie semble donc limitée, à moins que la ministre ne soit en mesure de démontrer qu’elle s’est fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité, que la mesure prise se justifie par un objectif légitime (ex : d’ordre public) et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Ce que ni l’Autriche ni la Belgique n’ont réussi à faire dans les affaires évoquées plus haut.

     

     

     

    La Commission a été saisie d’une plainte par les persévérants étudiants français, le 29/08. Madame Simonet avait clamé haut et fort sa satisfaction  après la décision de la Cour d’arbitrage. Peut-être a-t-elle vendu la peau de l’ours un peu hâtivement.                            

    Domaguil